L’humour est un art difficile à manier et à créer. Il est difficile car nous rions très souvent aux dépends de quelqu’un d’autre. Et c’est un vrai risque car le dérapage est facile et rapide.
Cet épisode m’a été inspiré par deux événements récents. Le YouTubeur Amixem (4,6 millions d’abonnés) se moque dans une vidéo du livre YouTubeur – Créer des vidéos et des millions de vues sur YouTube écrit par Jean-Baptiste Viet. Il le descend en flèche avec des arguments moqueurs sur la personne de l’auteur ou son métier. En tant que YouTubeur, Amixem se sent supérieur et prend Jean Viet comme cible de ses blagues et de son audience. Dire que le livre n’était tout simplement pas pour lui aurait été moins drôle.
L’autre événement est un podcast, qui n’existe plus, qui avait pour habitude de critiquer les autres podcasts. Ce qui se voulait un podcast humoristique n’était pas vraiment très drôle et leur épisode sur le phénomène streetcast vraiment méchant.
Ces deux événements illustrent le principe même de l’humour. Dans les deux cas, les auteurs prennent une personne pour cible dans leur but de faire rire l’audience. Et c’est exactement un principe de l’humour :
- prendre une cible,
- connue de tous ou assimilable par tous,
- et dont on se moque.
Nous rions aux dépends des autres
Nous rions donc souvent aux dépends des autres, c’est un peu sadique. En fait quand nous rions de voir un bébé tomber sur ses fesses, on rigole en trouvant ça mignon mais votre bébé ne pas forcément ça très drôle.
Il en est de même quand vous voyez une grosse gamelle au ski ou dans une vidéo. Ce matin je voyais par exemple ce tweet suivant avec une personne qui a vraiment beaucoup de mal avec une remorque transportant un bateau. Il a été retweeté par quelqu’un qui l’a donc sûrement trouvée très drôle. J’ai souri. La personne sur la vidéo probablement beaucoup moins. Et elle devrait encore mois sourire avec la viralité de la vidéo.
Ainsi, quand vous riez des blagues d’un humoriste c’est pratiquement aux dépends de quelqu’un. La psychologue Patricia Keith-Spiegel a identifié deux raisons pour laquelle nous rions :
- la surprise
- quand nous nous sentons supérieur.
Ainsi l’humour est ainsi cruel par nature. On pourrait dire que l’humour est ridicruel par nature. Et en tant que public nous sommes complice de l’humoriste. Car oui nous rions avec l’humoriste en nous moquant de la même personne que lui.
Le problème de l’humour c’est de le faire bien
En fait, il y a deux grandes cibles possibles :
- L’humour ridiculise souvent l’intelligence, le statut social, les infirmités physiques et mentales de ceux que nous considérons inférieurs à nous-mêmes.
- L’humour ridiculise aussi ceux qui nous sont supérieurs : positions d’autorité, plus riches, plus connus, plus intelligent, plus forts ou personnes admirées. Plus le prestige de la victime est important et plus l’humour permet de se remettre à sa hauteur.
On rigole donc quand on a le sentiment de se sentir supérieur ou que l’on rabaisse quelqu’un au même niveau ou en dessous de nous. L’humour joue ainsi un social et sociétal important sur lequel se sont penchés beaucoup de psychocholoques dont Freud.
Ne pas prendre une cible directe
Le problème de ce type d’humour est le risque de dérapage. On peut dériver potentiellement très vite et faire du mal. C’est d’ailleurs pour ça que l’humour est si compliqué à créer et à partager. Les humoristes prennent alors quelques précautions :
- il parle de lui-même (auto-dérision), une personne de sa famille,
- créer un personnage qui n’existe et donc souvent une caricature avec un trait de caractère fortement amplifié (le sportif sans cerveau, la blonde… sont des exemples types)
- il ne personnifie la cible,
- ou alors d’une personne très connue telle un artiste ou un politique. Des personnes rompues à la critique ou qui n’écouteront jamais
Quand Florence Foresti rigole de la maternité et des enfants elle parle d’elle pour se moquer de toutes les mères et de tous les enfants. Tout le monde y trouve son son compte :
- on peut se reconnaître et se sentir visé sans l’être vraiment « merde c’est vrai que je fais ça »,
- ou peu se sentir conforté dans ses pensées « je te l’avais bien dit »,
- ou supérieur en se disant « ça je ne l’ai quand même jamais fait »,
- ou rassuré : « je ne suis donc pas le seul à faire ça ouf ! ».
Mais le principe c’est qu’il faut prendre une cible :
- quelqu’un que tout le monde reconnaît, un marqueur culturel,
- ou que tout le monde peut reconnaître dans son entourage ou en soit,
- où alors une communauté et là ça dépend qui parle et c’est franchement risqué. Florence Foresti peut se moquer des travers des femmes à travers elle ou ses amies ça passe, je fais de même je passe vite pour un misogyne ou un gros con. Il en est de même pour le rire communautaire.
Le risque de dérapage est proche
On pointe souvent les humoristes pour leurs dérapages. E c’est normal car il y a un risque important. Nous y sommes tous confrontés quand nous essayons de faire rire.
Et c’est là que l’humour pose problème quand on ne sait pas le faire. J’ai beaucoup réfléchi à ça car je donne beaucoup de cours et formation. L’humour est un bon moyen d’intéresser et captiver l’audience mais je peux me planter.
Sans risque, je peux me moquer en cours d’une phrase entendue dans la rue ou dans ma famille. Je ne vais pas faire de mal à la personne directement. Alors que si je prends un élève de ma classe et que je me moque de lui ça va lui faire mal même si la classe rigole.
Et j’ai honte de le dire mais ça m’est déjà arrivé. Un jour je me demande à une classe quelles sont les chaînes YouTube qu’ils regardent. Certains me parlent de Tibo InShape. Je leur demande s’ils se sont mis à la musculation, ils me disent oui. Et en rigolant je leurs dis que ça ne se voit pas. Sur le coup je sais que c’est une connerie mais c’est sorti à 80 élèves. Trop tard ! Je me suis rapidement excusé vraiment confus.
Je dois donc me méfier. Si je souhaite faire et me moquer de nos comportements devant des vidéos ou influenceurs, autant le faire en me prenant comme exemple. Ce que je n’hésite pas à faire.
Je peux facilement faire rire en disant que j’ai regardé toutes les vidéos de Tibo InShape mais que je n’ai pas pris un gramme de muscle car je regarde ses vidéos quand je vais à la salle pour voir les exercices au lieu de les faire et soulever de la fonte. Au passage ce n’est pas vrai, je ne vais jamais à la salle de musculation. Cet exemple doit vous rappeler ce que j’ai dit sur le dessin.
Nous devons donc faire attention à l’humour
Dans nos contenus, si nous ne sommes pas en live, nous pouvons facilement vérifier si nous avons dépassé les bornes et ne pas publier. Ce podcast ou Amixem auraient pu ne pas publier. Pour l’anecdote, Jean Viet a quand même bénéficié de cette moquerie puisque les ventes de son livre ont augmenté après cette vidéo.
Un humoriste teste son sketch de multiples fois. Les humoristes en direct sur les radios le matin lisent un texte qu’ils ont préparé pendant des heures pour être certain justement de viser juste.
Nous pouvons donc éviter de tomber dans ce piège. Et surtout nous pouvons travailler vraiment notre humour quand nous voulons l’utiliser. C’est là encore un véritable entraînement.