Les Jeux Olympiques de Sotchi se sont ouvert ce vendredi soir. Moi qui suis fan de sport, c’est le genre d’événement que j’adore. Mais j’avoue en plus avoir une petite sympathie pour ces jeux puisque j’étais dans cette ville… en 1998.
Mon premier contact avec Сочи date de 1997. Prononcez Sotchi pour la phonétique, mais le nom européanisé serait plutôt Sochi. A l’époque, étudiant en première année en école de commerce, un professeur américain devenu amoureux de cette ville nous parle de la possibilité d’aller y faire un stage en profitant des accords avec l’université russe. En première année, nous devions faire un stage d’observation, pour que les étudiants sortant de prépa découvrent le monde de l’entreprise. Sortant d’IUT et d’un stage de plusieurs mois, j’ai saisi l’occasion proposée par ce professeur de faire un stage plus original.
Quelques mois plus tard, après quelques cours de russes, des difficultés pour obtenir le visa indispensable et un grand questionnement sur le trajet me voilà parti. Le seul truc que je n’avais pas calculé à l’époque c’est que ça me ferait la Coupe du Monde de Football en France. Je vais d’ailleurs partir le lendemain du premier match de l’équipe de France. Mais je ne louperais pas un match et je vais même me retrouver à la TV locale qui voulait savoir ce que ça faisait de devenir champion du monde !
Via la Turquie
A l’époque, Sotchi venait d’inaugurer son aéroport international. Déjà il fallait savoir qu’il s’appelle Adler et à l’époque pas grand monde ne le savait dans les agences de tourisme que j’avais visité pour trouver un billet. Une fois trouvé, la découverte fut que cet aéroport international accueillait en fait surtout quelques vols internes de l’Aeroflot et un seul lien avec l’Allemagne et l’aéroport de Francfort. Le prix du billet était cependant exorbitant.
Le voyage se fera alors avec un mix étonnant. Départ de Paris en avion pour Istanbul, traversée de la Turquie en bus jusqu’à Trabzon. Près de 20h de voyage, dans un bus tout confort avec service inclus, mais aussi quelques frayeurs liée à la conduite turque. Là vous vous rapprochez de la Géorgie, de l’Arménie mais aussi de l’Iran. Mais pas vraiment le temps de visiter la ville, car j’ai embarqué dans un ferry pour traverser la Mer Noire pendant la nuit.
Il était possible de faire la traversée en hydrofoil, sorte de hors-bord géant, ce que je ferai au retour. Le voyage dans ce vieux ferry ne fut pas très agréable, mais l’arrivée après 10h de mer le fut plus. Au petit matin le bateau est suivi par quelques dauphins avant d’accoster quelques minutes plus tard dans le port de la ville.
Station balnéaire
Sotchi est une ville balnéaire qui s’étend sur plusieurs dizaines de kilomètres dans la région de Krasnodar, le nord du Caucase. C’est en fait la Côte d’Azur russe, la riviera, un peu à l’image de Nice en France. Sotchi fut à une époque la résidence d’été de Staline avec grande villa et petit pavillon de chasse en pleine forêt. Dans les années 80, on pouvait encore partir à la chasse à l’ours. Staline a fait plus qu’y passer des vacances car il a aussi dirigé le pays et déclaré la guerre depuis le bord de la mer. C’était aussi le lieu de vacances, de repos et de soins de l’ancien président russe Boris Eltsine.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, Sochi n’est pas une petite ville mais comptait plus de 300.000 habitants à l’époque et le Grand Sochi dépasse les 400.000 habitants. La ville est bordée par une longue plage de galets et des hôtels en pagaille. Le Grand Sotchi s’étend en fait sur 145km de côtes ! On y trouvait des hôtels classiques mais aussi de très nombreux sanatoriums, plus de 50. Le premier hôtel date de 1909 mais c’est un décret de Lénine en 1919 qui transforme la ville en lançant la construction des «palaces thermaux». Staline a amplifié le mouvement.
Au temps de la Russie soviétique, l’industrie, notamment de Sibérie, envoyait des familles se soigner et se reposer. C’était tout frais compris, le all inclusive avant l’heure. L’armée rouge avait aussi son sanatorium. Les russes venaient aussi faire des cures en profitant des sources thermales. Les spécialités étaient le traitement de l’arthrite, rhumatisme, problèmes de peau, coeur, gynécologie… Mais prendre l’air et le soleil était aussi la spécialité des sanatoriums qui avaient tous des grandes vérandas et espaces au soleil. Sochi accueillait ainsi aussi des personnes en convalescence pour problèmes nerveux ou cardiaques.
Leur emplacement avec plein soleil et vue sur la mer en faisant des lieux idéaux pour vacanciers notamment ceux qui ont de l’argent, la tendance était alors de transformer les sanatoriums en hôtels. Tendance renforcée par les problèmes de rentabilité des hôtels depuis les réformes de Gorbatchev : trop de personnel mais aussi moins de clients car moins de moyens des entreprises pour envoyer leurs salariés en vacances.
Climat subtropical
La première vraie surprise à Sotchi c’est le climat. Nous avons tous une image de la Russie froide, de la Sibérie… mais Sochi est une ville au climat subtropical : frais l’hiver mais bien tropical pendant l’été. Au mois de juillet les températures dépassent allègrement les 30°C, le record estival est de +39,4°C, et le taux d’humidité se rapproche des 80%. La ville ne connait que 154 jours de pluie par an, Pendant 8 semaines j’ai donc passé mon temps en tenue estivale, à chercher eau, ombre et fraicheur, et finir la journée à la plage. La conséquence de ce climat est que la nature est luxuriante. La ville était très verte et comprend même une forêt tropicale et s’organise autour des collines et quelques falaises.
Je me souviens de la douceur de vivre de cette ville. On y trouvait de nombreux petits bars en plein air avec des terrasses à l’ombre. J’évitais soigneusement le kvas, boisson nationale russe à base de pain fermenté. On en trouvait partout dans les rues, vendu par des commerçants trainant des citernes jaunes. Je n’ai jamais réussi à me faire au goût du kvas alors je me rabattais sur un Pepsi, nouvelle spécialité locale du fait de la présence d’une usine de la marque américaine dans la ville.
Grands hôtels
Mon stage consistait à l’époque en l’observation du tourisme russe en plein développement. J’ai donc été trimballé par une guide et deux étudiants dans de nombreux lieux touristiques. La ville était déjà remplie d’hôtels. Des complexes gigantesques, avec des piscines, des ascenseurs dans la roche pour descendre à la plage, des parcs verts, des terrains de tennis. Conçus pour accueillir les familles d’ouvriers, les hôtels et sanatoriums se transformaient donc en hôtels de luxe. Dans un hôtel, le directeur nous a fait visiter le casino Caesar Palace et la suite occupée par Gérard Depardieu quand il venait dans le petit festival de cinéma organisé dans la ville.
C’est peut être l’hôtel Russ qui m’a le plus marqué. Situé au dessus d’une falaise, il avait un parc luxuriant, des terrains de tennis en pagaille, des chambres tournées vers la mer, un hall en marbre. Là au milieu, une famille de travailleurs arrivait avec ses sacs en plastique pour passer deux semaines au frais de leur entreprise. Je ne sais pas qui ils ont croisé pendant leur séjour, mais les tennismen russes étaient des habitués des lieux pour venir préparer la Coupe Davis.
Le tennis est de toute façon une vieille histoire. Vendredi pendant la cérémonie d’ouverture on nous a parlé de Maria Sharapova qui avait vécu à Sotchi pendant cinq ans. Mais en visitant le parc botanique et ses allées rendant hommage aux écrivains russes, la guide nous parle d’une autre star. La guide montre des terrains de tennis et explique qu’ils ont accueilli le petit Ievgueni Aleksandrovitch Kafelnikov. Il était alors la star du tennis, pas encore numéro 1 mondial mais pas très loin. Evgeniy Kafelnikov a maintenant ouvert une académie dans la ville.
A la plage
La plage n’était pas très loin de l’appartement de la famille qui m’hébergeait. Il suffisait de prendre un petit chemin, qui descendait vers la plage puis de passer sous la voix ferrée. En effet, un train passait tout le long de la plage et les gens pouvaient le prendre pour venir se baigner. Les gens venaient en famille ou entre amis, les jeunes de la ville l’envahissaient la nuit pour faire la fête. La plage de galets n’était pas très confortable mais l’eau était plutôt chaude, 25°C environ !
La plage où j’allais était large, à l’abris du bruit de la ville, mais certaines plages étaient plus petites et moins agréables. Outre les galets, leur points commun était d’avoir des blocs de béton posés dans l’eau, non pas pour tenir la plage, mais plutôt pour défendre le pays et éviter un débarquement d’après la guide. Le Caucase a toujours été une zone stratégique et de combat. La guide était d’origine finlandaise, ses parents s’étaient réfugiés dans le Caucase pour fuir les allemands. Ces derniers n’ont d’ailleurs jamais réussi à passer les montagnes, ce qui fait partie de la fierté locale.
J’ai aussi gardé un souvenir amusant des plages. Sur ces plages familiales, les premiers jours je fus surpris par le côté très « nature » des femmes, même jeunes. Beaucoup n’étaient pas franchement adeptes de l’épilation, même des jambes, mais certaines n’était forcément adeptes non plus du maillot de bain sans que cela ne semble gêner personne.
Mais ce ne fut pas la seule curiosité vestimentaire. Je me souviens encore de cette jeune femme se baladant au marché à proximité de l’université en portant une mini-jupe en plastique transparent par dessus un string dentelle. Il y’aurait eu de quoi faire un blog photo amusant.
Outre visiter les hôtels, mon stage consista aussi à compter le nombre de personnes sur les plages. Les étudiants russes, qui ont l’esprit scientifique bien plus développés que nous, ont rapidement mis un protocole : compter le nombre de personnes sur des bandes de 100m sur cinq plages différentes puis multiplier par la distance de plage. Ce fut fait une fois en semaine et une fois le week-end.
Thé et viande grillée
Et puis le stage consistait aussi dans la visite de plein d’équipements et de curiosités. Ce fut par exemple aller visiter le Mont Bolshoi Akhun, que la guide appelait colline de l’ours. Un gros rocher à 663m d’altitude proches de la mer et offrant une vue magnifique sur la mer et le Caucase. Mais mon vrai souvenir là haut et culinaire avec la dégustation au sommet de délicieux Chachlyk, de la viande marinée et grillée façon kebab. Un délice qui changeait bien des repas à l’université. J’ai aussi été initié aux danses traditionnelles pour bien digérer.
Mais c’est le Caucase qui s’est avéré le plus surprenant. D’abord parce qu’en montant un petit peu, j’ai découvert les plantations de thé. Sotchi produit le thé le plus au nord du monde et peut être aussi le moins connu. Les plantations datent pourtant de 1903 mais le produit reste relativement peu connu. C’est un héritage du tsar Nicolas II. Le thé y est préparé dans des samovars, sortes de grandes théières intégrant à l’origine une réserve à charbon, une réserve pour l’eau et un ou plusieurs robinets pour servir le thé.
Minuscule station de ski
Mais la vraie grande surprise fut la découverte de la station de ski. Les presque 50km séparant la station de Krasnaïa Poliana et le bord de mer furent longs, très longs. La route était dans un mauvais état, voir pas forcément goudronnée. Comme à chaque fois la visite commence par celle d’un hôtel, de luxe. Un grand chalet de bois moderne avec quelques chambres luxueuses, quelques chalets familles autour, un héliport….
Arrivé à la station, le guide explique que Sotchi souhaite organiser les Jeux Olympiques. Je crois d’abord à une blague car à l’époque la station de ski se résume à seule remontée mécanique. Il s’agit d’un petit télésiège de 2 places en bois. Il me rappelle le vieux télésiège de Super-Besse. Sotchi veut organiser les JO avec une station plus petite que la plus petite des stations que nous avons en Auvergne !
Mais Sotchi a un avantage certain. Même si la station n’est pas très haute en altitude, 520m en bas de la station, l’enneigement en montagne peut être fabuleux. Il peut tomber des épaisseurs importantes en quelques heures et cela très tôt dans la saison (septembre-octobre) jusqu’au printemps. La station est alors connue chez les freeriders. Les stars de la discipline, dont certains français, se faisaient héliporter sur les sommets pour tourner des vidéos de snowboard dans une belle épaisseur de poudreuse.
Mais le freeride n’est pas discipline olympique et cette idée d’organiser des jeux me paraissait totalement farfelue. Effectivement 37 milliards de dollars plus tard, la flamme olympique a été allumée vendredi soir au stade olympique. Il est clair que si j’y retournais maintenant je ne reconnaitrais pas grand chose de cette ville.
Merci pour ce témoignage anachronique, et donc très intéressant